Comment estimer un tel préjudice? Il y a 20 ans, deux bébés ont été malencontreusement échangés dans une clinique cannoise. Les familles ont porté plainte et demandent plus de 12 millions d'euros de dommages et intérêts. L'affaire, qui rappelle le scénario du film La vie est un long fleuve tranquille, est jugée ce mardi à huis clos au tribunal de grande instance de Grasse.
En juillet 1994, Sophie Serrano donne naissance à une fille. Dans une autre chambre, une jeune femme accouche d'un autre bébé. Quelques jours après leur naissance, les deux filles sont atteintes d'une jaunisse. Elles sont placées sous des lampes spéciales mais dans le même berceau pour des raisons de place. C'est là que leur destin se noue: une auxiliaire puéricultrice intervertit par mégarde les bébés. Les toutes jeunes mamans exprimeront des doutes. Sophie Serrano, qui avait accouché d'un bébé à la peau claire se voit remettre une petite métisse. Intriguée, elle fait part de sa surprise au personnel de la maternité, qui lui répond qu'il s'agit des conséquences des lampes UV. «Je les ai crues», expliquait au Figaro la maman, qui a eu par la suite deux autres enfants.
L'enfant grandit et malgré la surprise qu'occasionne sa peau de plus en plus mate (ses parents biologiques sont Réunionnais), la vie s'écoule normalement. Mais en 2004, le mari de Sophie Serrano fait effectuer un test ADN: les résultats révèlent qu'ils ne sont pas les parents biologiques de Manon. Le choc. L'enquête permettra d'identifier l'autre famille. La fille biologique des Serrano, Mathilde, vivait à une trentaine de kilomètres de là. La thèse de l'inversion des bébés à la maternité est confirmée et l'enquête relève des dysfonctionnements à la clinique. «L'inversion des enfants a été réalisée par une salariée de la clinique qui n'a pas respecté les consignes de la clinique parce qu'elle souffrait d'une grave dépression et d'un alcoolisme chronique», a déclaré à BFM TV Sophie Chas, avocate de la structure médicale.
La clinique refuse de payer
La clinique de Cannes, aujourd'hui fermée, reconnaît l'erreur mais refuse de payer. «Scandaleux», répond Gilbert Collard, l'avocat de Sophie Serrano. «C'est aux mères de vérifier que l'enfant qu'on leur remet est bien le leur? Il faudrait organiser des tests ADN après chaque naissance?». Après s'être fréquentées quelque temps, les deux familles ont finalement cessé de se voir. «Les différences sociales, éducatives et culturelles, en plus de la douleur et de notre rivalité inconsciente, ont eu raison de nos relations», confiait Sophie Serrano. Aucune des deux jeunes femmes aujourd'hui âgées de 20 ans ne souhaite revenir dans sa famille biologique. «Quand le procès sera fini on aura été reconnu victime et puis c'est tout, ça s'arrêtera là. Je pourrais avancer plus et mieux», explique Manon à Nice Matin. «On attend une peine exemplaire», ajoute Sophie Serrano.
La clinique, deux pédiatres, deux médecins accoucheurs ainsi que l'auxiliaire puéricultrice sont poursuivis. Il est demandé 3 millions d'euros pour chaque fille échangée à la naissance, 1,5 million pour les parents, ainsi que 750.000 euros pour chaque frère et soeur. Le verdict devrait être connu dans plusieurs semaines.